Chapitre XX

Margaret sortit, le lendemain matin, vêtue de ses vêtements ténébrans les plus chauds, mais avec ses papiers terriens dans son sac. Elle avait pensé pendant quelques minutes à remettre son uniforme universitaire pour aller chercher Ida Davidson à l’astroport, mais cela lui déplaisait trop. La seule idée du froid tissu synthétique sur sa peau et de son odeur dans son nez lui répugnait. Toutes les années où elle en avait été si fière lui paraissaient un rêve maintenant, et elle était bien décidée à ne plus jamais le revêtir. Elle était encore fatiguée de son voyage, et le dîner de la veille lui avait semblé interminable. Elle avait la migraine – deux migraines plutôt. La première venait d’avoir bu trop de vin mais la seconde était une migraine fantôme, provoquée par toutes les tensions régnant autour de la table. Après l’harmonie et la paix de Neskaya, le Château Comyn lui paraissait bruyant, verbalement et mentalement.

Elle s’était félicité d’avoir Gabriel Lanart-Alton comme principal voisin de table. Son laran était minimal, et ses intérêts ordinaires. Comme Margaret était héritière d’Alton, il supposait qu’elle voudrait tout savoir sur ce qui s’était passé à Armida depuis son dernier séjour. Et Margaret avait constaté avec surprise qu’elle s’y intéressait, et aussi qu’elle admirait la quantité de travail indispensable pour gérer ces terres. Son respect pour son cousin et pour son oncle Gabriel s’accrut notablement, chose qui les aurait étonnés s’ils l’avaient sue. Il passa charitablement son ignorance totale de la gestion d’un domaine, et son discours appliqué fit barrière entre Margaret et les tensions bouillonnant autour de la table.

Margaret traversa la Cour des Écuries et se rendit à la caserne des Gardes. Une sentinelle grisonnante, en uniforme vert de la Garde de la Cité, était de faction devant la clôture. Il lui fit un salut impeccable. Des baudriers de cuir noir se croisaient sur sa poitrine, et il portait l’épée au côté.

— Puis-je t’aider, Domna ?

— Oui. Je me demandais si Rémy était de service. Je vais à l’astroport et j’ai besoin d’une escorte.

Elle s’était résignée à être accompagnée partout, tout en sachant qu’elle ne s’y habituerait jamais complètement.

— Il est de service, mais il n’est pas là, Domna. Il y a eu des troubles au Marché aux Chevaux, et il est parti avec la compagnie voir de quoi il retourne. Mais je peux trouver quelqu’un d’autre. Attends un moment.

Restée seule, Margaret en profita pour admirer les flèches et les épées sculptées dans la pierre du linteau. Puis la sentinelle revint, accompagnée d’un jeune homme en longue cape.

— Voici Daryll MacGrath, Domna.

— Daryll ? Est-ce toi qui es allé à la Maison Halyn avec Mikhail ?

— Oui, c’est moi, Domna.

Il s’inclina, et ses yeux pétillaient quand il se redressa.

— Je suis Marguerida Alton.

— C’est ce que je pensais, dit-il avec un grand sourire. Où allons-nous, Domna ? ajouta-t-il, embrassant les lieux d’un grand geste.

— À l’astroport. Je vais chercher une amie.

Ils quittèrent la caserne et s’engagèrent dans les rues. Il avait un peu neigé, et un vent glacé soufflait dans les ruelles. Margaret décida qu’elle pouvait attendre qu’il fasse meilleur pour aller admirer les Baladins. Elle ne savait pas l’heure d’arrivée exacte de l’astronef, et elle préférait attendre qu’être en retard.

La matinée était bien avancée quand ils arrivèrent sur la place où se dressait l’Orphelinat John Reade. Elle jeta un bref coup d’œil sur la façade grise du bâtiment, se rappelant son angoisse d’enfant abandonnée dans ce lieu austère, puis écarta ces souvenirs de son esprit. Elle n’aurait jamais plus à y entrer, et elle s’efforça de ne pas penser à tous les autres enfants qui y étaient encore enfermés, fruits des amours de Terriens et de Ténébranes.

Ils étaient nourris, habillés, et transformés en Terriens bon teint, à moins que les choses n’aient changé depuis une vingtaine d’années. Elle se demanda brièvement s’il était toujours interdit d’y parler le Ténébran, ou si une administration plus éclairée avait modifié ce règlement.

Cent pas plus loin, ils eurent laissé la lugubre bâtisse derrière eux, et elle se détendit. Jusque-là, elle n’avait même pas réalisé qu’elle était crispée. Elle avait l’estomac noué par la colère, et un profond sentiment de solitude lui avait serré la gorge à la vue de l’orphelinat. Serai-je jamais libérée de mon enfance ? Y a-t-il des gens qui s’en libèrent ?

Quand ils approchèrent du mur séparant l’astroport du reste de Thendara, plusieurs Gardes en uniformes noirs se mirent au garde-à-vous, tout en les lorgnant avec suspicion. L’un d’eux s’avança, leur barra le passage, leur ordonnant d’une voix forte de s’arrêter.

Étonnée, Margaret le regarda tout en cherchant ses papiers dans le sac pendu à sa ceinture. Il semblait tendu, comme s’il s’attendait à des problèmes. Elle en fut perplexe, jusqu’au moment où elle réalisa que, vêtue comme elle l’était, il la prenait pour une indigène.

Margaret lui tendit tous ses papiers, que l’homme ignora superbement.

— Énoncez l’objet de votre visite, dit-il d’une voix forte en Ténébran hésitant.

— Je viens attendre quelqu’un arrivant par l’astronef de Coronis, répondit Margaret en terrien, et elle eut la satisfaction de voir les yeux de l’homme se dilater et sa mâchoire s’affaisser.

Puis il se ressaisit, la toisa des pieds à la tête et branla du chef.

— Personne n’est admis à l’astroport sans papiers !

— Mais j’en ai, des papiers, imbécile !

— Et où les as-tu volés ? grogna-t-il avec mépris.

— Volés ? Par tous les… Ton nom !

Elle sentait la colère monter en elle, se reprochant de vouloir décharger sa bile sur ce total étranger. Margaret décida qu’elle était plus perturbée par la soirée de la veille qu’elle ne l’avait réalisé, et elle se ressaisit fermement.

— Mon nom ?

— Oui, ton nom. Et je vais bien le retenir, pour informer mon oncle, le Capitaine Rafe Scott, que tu t’es conduit comme un ruffian. Le terme juste c’est « signaler à son attention », non ? Et après, ça restera dans ton dossier jusqu’à la fin de ta carrière.

Margaret connaissait très bien le fonctionnement de la bureaucratie terrienne, et elle savait qu’une fois une chose entrée dans un fichier, il était pratiquement impossible de l’en effacer, même si elle était erronée.

Un autre homme en noir s’avança précipitamment.

— Quel est le problème ?

— Ce monsieur semble décidé à m’interdire l’entrée de l’astroport, bien que mes papiers soient en règle. Et je viens chercher une amie qui arrive par l’astronef qui atterrit pendant que nous nous gelons ici.

Il y eut un éclair fulgurant dans le ciel, et le « boum » sonique d’un vaisseau entrant dans l’atmosphère.

— Voyons ça, dit l’homme, tendant la main.

Il parcourut vivement les documents.

— Ils me semblent en règle, dit-il, les rendant à Margaret qui les remit dans son sac.

— Mais, Lieutenant, c’est… une indigène ! protesta le premier, blanc de rage. Nous avons ordre…

— Tu as encore beaucoup à apprendre sur Cottman IV, Ritter.

— Comment savoir si elle ne les a pas volés ?

— Silence, Ritter ! Il faut l’excuser, Miss Alton. Il n’est ici que depuis une semaine et il ne sait pas grand-chose.

— Bien sûr, Lieutenant. Mais je ne comprends pas. L’été dernier, on ne faisait pas toutes ces histoires.

Margaret regarda le premier, qui baissa les yeux sur ses chaussures.

— Non, en effet, Miss. Mais il y a des gros bonnets qui pensent que… enfin, il y a eu des actes de sabotage à l’astroport d’Ephèbe Trois, il y a quelques semaines, et tout le monde a été mis en état d’alerte.

Margaret le regarda, ébahie, n’en croyant pas ses oreilles, car de tels événements étaient rares. Puis elle se força à rire avec désinvolture.

— Je ne pensais jamais être prise pour une saboteuse, Lieutenant.

— Ris si tu veux, mais la situation est sérieuse.

— J’en suis sûre, mais je ne peux pas m’empêcher de la trouver cocasse.

Margaret savoura l’humour de la situation et sentit sa colère se dissiper.

— Maintenant, je peux entrer ? Le vaisseau atterrira dans quelques minutes.

— Oui. Mais ton compagnon devra attendre ici. Nous ne pouvons pas l’admettre dans l’astroport. Les ordres, tu comprends.

— Je comprends que la Fédération a peur d’une ombre. Daryll, attends-moi ici. Je n’en aurai pas pour longtemps, ajouta-t-elle en casta.

— Domna ?

— Ce n’est rien. Il ne m’arrivera rien dans l’astroport, et plus vite nous en aurons fini, plus vite tu retrouveras ta caserne bien chauffée !

— Oui, Domna. Mais fais attention. Tu sais comment sont les Terranans, dit-il d’un ton lugubre et soupçonneux, comme s’attendant au pire.

— Oui, Daryll, je le sais, soupira-t-elle.

Elle franchit l’arche séparant la Cité de l’astroport, passa deux autres barrages sans encombre et entra dans le terminal. Elle enfila plusieurs couloirs, dont l’air sec et qui sentait le renfermé lui répugnait maintenant, et arriva enfin à la douane. Il y avait une longue file de l’autre côté de la barrière, et elle monta sur la pointe des pieds dans l’espoir de repérer Ida dans la foule.

Puis, elle la vit, silhouette menue presque cachée par un solide Terrien qui serrait une boîte sur son cœur. Elle agita le bras pour attirer son attention, mais Ida ne la vit pas. Ida lui parut plus petite que dans son souvenir, plus petite et plus vieille. Usée, aurait été plus juste. Elle s’agita avec impatience, s’exhortant à se calmer. Mais elle était trop excitée par l’arrivée d’Ida. Pas heureuse exactement, vu qu’Ida ne serait jamais venue sur Ténébreuse si Ivor n’était pas mort, mais réconfortée. Elle avait formé un lien très fort avec cette femme, qui avait été son guide pendant la plus grande partie de sa vie d’adulte.

La file serpentait lentement, les douaniers examinant les papiers, posant des questions impertinentes, fouillant les bagages à main et mettant les tampons aux endroits voulus. Enfin, Ida arriva en tête de la file, vit Margaret, lui dit bonjour de la main et attendit la fin des formalités.

Elle franchit finalement la barrière, et Margaret la souleva du sol en une étreinte fougueuse. Puis elle lui planta un gros baiser sur la joue et en reçut un en retour.

— Tu es ce que j’ai vu de plus beau depuis des jours, murmura Ida.

— Merci ! Et moi aussi, je te trouve merveilleuse ! Viens. Allons chercher tes bagages et partons. Par ici.

Margaret lui prit doucement le bras et la pilota dans le dédale des couloirs jusqu’à la livraison des bagages. Elles trouvèrent tout de suite la valise d’Ida Davidson, et quelques minutes plus tard, elles sortaient dans l’air glacé.

— Mon Dieu ! Pas étonnant que tu portes de la laine. Je n’avais pas idée qu’il faisait si froid. Enfin, oui, je savais que Cottman IV est une planète froide, mais rien ne m’avait préparé à ça, Maggie ! C’est toujours comme ça ?

— En fait, il fait doux pour la saison. Mais je comprends ce que tu veux dire. Viens. La promenade est belle, d’ici au château, et il n’y a pas de transports en commun. Ton manteau tout-temps t’empêchera de geler.

— Si tu le dis, répondit Ida en frissonnant, dubitative.

— J’aurais dû t’apporter un gros manteau, Ida. Je n’ai pas réfléchis. Excuse-moi.

Aucun Garde n’essaya de les arrêter quand elles franchirent les grilles, mais le dénommé Ritter lança à Margaret un regard venimeux. Elle l’ignora. Elle ne pensait qu’à ramener Ida au château le plus vite possible, se maudissant de ne pas avoir pensé à demander une calèche.

Daryll les attendait, appuyé contre le mur, mais il se redressa dès qu’il vit Margaret. Puis, avisant Ida, qui resserrait autour d’elle le tissu glissant de son manteau tout-temps, il ôta sa cape et la drapa sur les épaules de la Terrienne d’un seul mouvement fluide, comme si c’était la chose la plus naturelle du monde. Surprise par ce mouvement, elle sursauta, puis se blottit frileusement dans le vêtement.

— Merci, jeune homme. J’ai passé l’âge où j’attends de la galanterie des hommes, mais je suis toujours en âge de l’apprécier.

Le Garde la regarda, déconcerté, car elle n’avait pas parlé en casta, mais en terrien. Pourtant, il sembla comprendre qu’elle était contente et lui fit un grand sourire.

— Il ne va pas avoir froid ? demanda Ida d’un ton soucieux.

— Daryll n’en mourra pas, j’en suis sûre. Donne-lui ta valise. Les rues sont glissantes et je ne voudrais pas que tu tombes. Tiens, donne-moi le bras.

— Si tu veux, répondit Ida, bougonne. Mais je ne suis pas impotente, Maggie – enfin, pas encore.

— Je sais, mais si tu te casses une jambe, tu finiras au Centre Médical Terrien et ça gâchera ton séjour.

— C’est comme ça que tu manœuvrais Ivor ? demanda-t-elle, l’acidité du ton adoucie par la cape trop grande pour elle avec laquelle elle bataillait.

Margaret gloussa.

— Oh non. Je n’avais jamais à le manœuvrer, parce qu’il me mettait tout sur les bras, partant du principe que je m’occuperais de tout.

— Oui, ça ne m’étonne pas. Il ne pensait qu’à sa musique.

Elle semblait au bord des larmes, et Margaret comprit qu’elle se dominait par un pur effort de volonté.

— Je t’ai dit comme ta lettre m’a fait plaisir après la mort d’Ivor ?

— Oui, Ida.

— Je suis tellement fatiguée que tout se brouille dans ma tête. Pourtant, ça paraît invraisemblable après des jours passés à ne rien faire, qu’à dormir et à chercher une position confortable. Mais je suis fatiguée jusqu’à la moelle, jusqu’au cœur.

— Je sais, Ida, et je voudrais…

— Tu ne peux rien y faire, mon enfant. Seul le temps fera son œuvre.

Elles traversèrent lentement la place, et Ida, appuyée au bras de Margaret, commença à regarder autour d’elle avec intérêt. Elles passèrent devant l’orphelinat, devant les tavernes et les restaurants agglutinés autour de l’astroport, et s’engagèrent finalement dans les ruelles étroites qui en partaient. La glace crissait sous leurs pas, et leur haleine se condensait en buée devant elles. Le vent était un peu tombé, ce dont Margaret se félicita, pour Ida et pour elle-même.

— Où allons-nous ? demanda Ida au bout d’un moment.

— Tu vois cette grosse masse blanche qui domine la Cité ? C’est le Château Comyn, et c’est là que je t’emmène.

— Oh ! Quand tu disais « château », je croyais que tu parlais d’une auberge ou d’un hôtel, pas d’un vrai château.

Elle haletait, et son souffle sortait de sa bouche en un petit nuage de buée.

— Et pourquoi vis-tu dans un château ? demanda-t-elle enfin.

Margaret ne lui avait pas dit grand-chose de ses aventures depuis son arrivée, parce que le prix des fax était astronomique, et qu’elle ne voulait pas étaler sa vie devant des yeux indiscrets. Ces communications étaient censément privées, mais elle soupçonnait que ce n’était pas vraiment le cas. Elle avait informé Ida de la mort d’Ivor, mais elle lui avait caché qu’elle était une riche héritière, qu’elle avait le laran, et bien d’autres choses. Maintenant, elle se sentait un peu coupable de ces omissions.

— Techniquement, je n’y vis pas. Je séjourne au Château Comyn uniquement quand je viens en ville. Pour le moment, je « vis » à Neskaya, qui se trouve au nord d’ici, pour y étudier. J’y serais sans doute actuellement, mais les fêtes du Solstice d’Hiver et ton arrivée m’ont permis de m’en absenter pour un temps.

Comment diable allait-elle expliquer à Ida ce qu’étaient les Tours de Ténébreuse ?

— Tu étudies ? Ce Neskaya est-il un centre musical ?

Ida avait une bonne oreille, et elle avait manifestement écouté les cassettes de langue que Margaret lui avait envoyées voilà des mois, car sa prononciation du mot « Neskaya » était parfaite.

Margaret éclata de rire.

— On fait de la musique partout sur Ténébreuse, Ida. Depuis mon arrivée, j’ai recueilli assez de matériaux pour devenir professeur titulaire si j’avais seulement le temps et l’énergie de les organiser. Mais comme je n’ai pas l’intention de jamais revenir à l’Université…

— Tu ne reviendras pas ?

— Pas dans un avenir proche, Ida.

Le problème, c’est qu’elle ne se voyait aucun avenir, pensa-t-elle. Et voilà pour le Don des Aldaran. Je me demande si Gisela le possède. Dommage que je ne puisse pas lui poser la question. Mais je ne m’y résoudrai jamais.

— Je vois. J’avais toujours imaginé, et Ivor aussi, que, quand il prendrait sa retraite, tu hériterais de sa chaire. Nous le souhaitions ardemment, parce que, de tous les étudiants que nous avons eus, tu étais la meilleure érudite. Sans parler du fait que tu étais bien meilleure musicienne que tu l’as jamais cru. Je crois que tu étais intimidée par Jheffy et quelques autres, qui t’avaient mis dans la tête que tu ne les valais pas.

Comme d’habitude, Margaret s’épanouit à ce compliment, tout en ayant un mouvement de recul. Puis elle s’efforça de secouer ses vieilles habitudes.

— C’est agréable à entendre, Ida. Et je suis désolée de te décevoir.

— C’est peut-être mieux ainsi.

— Pourquoi dis-tu cela ?

Devant elles, la chaussée était maintenant sèche, et elle relâcha un peu sa prise sur le bras d’Ida, qui lui sourit.

— Les choses ont beaucoup changé depuis ton départ. Et pas en mieux. Il est question de réduire les dotations, et pas seulement pour la musique, mais pour tous les arts et certaines sciences. Ces philistins d’Expansionnistes trouvent que l’art n’est pas une nécessité, mais un luxe, et que l’argent public doit être réservé à des choses utiles, comme la technologie et l’armement. Comme s’il nous fallait davantage de canons ! Nous n’avons pas eu de guerre depuis des générations ! Ils essayent de supprimer toutes les chaires de professeurs émérites – ils disent que c’est gaspiller l’argent que d’entretenir des vieux schnocks qui n’apportent plus rien à la société. Et l’année prochaine, ils vont doubler le prix des cours et supprimer la plupart des bourses. Le Conseil d’Administration est en révolution, et c’est absolument affreux.

Son visage se plissa de détresse.

Margaret pensa au sabotage sur Ephèbe, et à quelques autres nouvelles que Lew lui avait apprises, mais décida de n’en rien dire.

— Je vois. Mon père soupçonnait que les choses allaient tourner ainsi, et je ne suis pas vraiment surprise, mais attristée, dit Margaret, serrant très fort la main d’Ida. Nous serons bientôt au Château, alors tu pourras te reposer, prendre un bon bain et oublier tout ça.

Ida se mit à frissonner malgré la cape de Daryll, et elle en perdit tout intérêt pour les boutiques maintenant ouvertes. Margaret se félicita de n’avoir rien dit d’Ephèbe, et elle observa la vieille dame en se mordant les lèvres, soucieuse. Sa respiration était saccadée, rappelant à Margaret comment était Ivor la veille de sa mort subite. Son cœur se serra d’appréhension. Et si elle avait fait venir Ida sur Ténébreuse, seulement pour la voir mourir comme Ivor ?

Puis, à sa stupéfaction, elle eut un éclair de prémonition, comme cela lui était déjà arrivé trois fois. Elle « vit » Ida, maintenant incroyablement vieille, assise devant l’immense cheminée d’Armida, bavardant tranquillement avec une ravissante fillette d’une douzaine d’années. Elle portait des vêtements bizarres – ni terriens ni ténébrans – et semblait parfaitement chez elle. Margaret prêta l’oreille pour percevoir les paroles de la vision, mais la femme et l’enfant parlaient très bas, et elle n’entendit que le crépitement du feu et le vent soufflant dehors.

Margaret fut si surprise qu’elle trébucha. La vision disparut presque aussitôt. Naguère encore, elle l’aurait écartée avec mépris, mais maintenant, elle était préparée à la croire. Cela n’arriverait peut-être pas tout de suite, mais pouvait se réaliser. Cette expérience lui donna le vertige, et elle regretta de n’avoir pas pris un petit déjeuner plus copieux.

Ils arrivèrent à l’entrée du Château Comyn, qu’elle avait franchie avec Rafe Scott il y avait une éternité, lui semblait-il. La neige du perron avait été balayée, et il y avait des Gardes en sentinelle devant la porte. Ils s’inclinèrent sur leur passage, et elle sentit Ida sursauter.

— Maggie, es-tu quelqu’un d’important, ma chérie ? Enfin, je sais que tu es la fille du Sénateur Alton, mais… chuchota la vieille dame comme elles entraient dans le hall.

Daryll les suivit avec les bagages, et un serviteur se présenta immédiatement pour les prendre.

— Oui, si on veut, murmura Margaret, embarrassée.

Elle n’avait pas l’habitude de se considérer comme une personne importante.

Ida resta absolument immobile quelques secondes, admirant les tableaux et les tapisseries. Puis, les mains tremblantes, elle dégrafa la cape de Daryll et se retourna pour la lui rendre. Des glaçons s’accrochaient à l’ourlet, et le drap de laine blanche était tout noir d’avoir traîné sur les pavés, car elle était beaucoup plus petite que le Garde.

Elle eut l’air consterné devant ce gâchis, et leva les yeux sur le grand jeune homme.

— Merci de m’avoir prêté ton vêtement – j’espère que tu n’as pas eu trop froid – et je m’excuse de l’avoir sali.

Daryll regarda Margaret, l’air interrogateur, alors elle lui traduisit les paroles d’Ida.

— Dis à la mestra que c’est un honneur d’avoir pu lui être utile, et que la journée est très douce pour la saison.

Margaret éclata de rire, et Ida attendit qu’elle ait repris son sérieux.

— Qu’est-ce qu’il a dit ? J’ai écouté les cassettes que tu m’as envoyées, et je crois avoir appris quelques mots, mais je suis trop fatiguée pour suivre ses paroles. Et ça sonne différent dans sa bouche. Qu’est-ce qu’il a dit ? répéta-t-elle, d’un ton las et presque irrité.

— Seulement qu’il était content de t’avoir prêté sa cape, et qu’il faisait très doux pour la saison.

— Très doux ! Alors, je frémis à l’idée de ce que ça doit être quand il fait froid !

Elle regarda Daryll avec insistance, comme le soupçonnant de se moquer d’elle.

— Viens. Nous avons plusieurs miles de couloirs à parcourir avant d’arriver à nos appartements. Enfin, j’exagère un peu. Ça te paraîtra des miles, mais au moins, tu auras plus chaud, Ida.

— Oh oui. Je me sens déjà mieux.

Elle ôta le manteau tout-temps qu’elle avait gardé sous la cape de Daryll, et le mit sur son bras.

— Allons-y. Ce bain chaud dont tu m’as parlé me semble paradisiaque.

Le serviteur les avait précédées, de sorte que les portes étaient ouvertes quand elles arrivèrent aux Appartements Alton. Lew les attendait sur le seuil, en tunique brun foncé et pantalon assorti, et Margaret le trouva très élégant, ainsi silhouetté dans la pâle lumière entrant par la fenêtre située derrière lui.

— Ida, j’ai le plaisir de te présenter mon père, le Sénateur Lewis Alton. Père, voici Ida Davidson, qui a été une mère pour moi pendant mes années à l’Université.

Lew s’inclina, puis tendit à Ida son unique main.

— Je suis ravi de connaître enfin la personne qui a si bien pris soin de ma petite fille.

— C’est un plaisir de te rencontrer, Sénateur. Ivor et moi, nous avons fait de notre mieux, mais elle aurait bien évolué de toute façon.

Ida lui sourit en lui serrant la main, les yeux pétillants. Elle était complètement détendue maintenant, et pas impressionnée outre mesure. Pourquoi l’aurait-elle été, d’ailleurs ? Ivor et Ida avaient pris en pension des fils et filles de rois, originaires de planètes où il y en avait encore, et ils les traitaient exactement comme les roturiers.

— Et maintenant, ce bain que tu m’as promis ? Les odeurs du vaisseau me collent encore à la peau, et je veux m’en débarrasser. Il y avait longtemps que je n’avais plus voyagé, et j’avais oublié comme c’était affreux.

— Avec la merveilleuse technologie de la Fédération Terrienne, on pourrait penser qu’ils auraient appris à construire des astronefs qui ne sentiraient pas comme des étables, non ?

— Une étable, Sénateur, a une odeur saine et naturelle. Je le sais, car je suis née sur Doris, qui est réputée pour son bétail. Si j’entrais dans une étable empestant comme ces vaisseaux, je penserais aussitôt qu’il y a des vaches malades.

— Viens, Ida, je vais te montrer ta chambre, et te présenter à Piedra, ma femme de chambre. Elle a sans doute déjà déballé toutes tes affaires, car elle est très efficace.

— Merci.

— Et pendant que tu prendras ton bain, je vais faire monter à manger – de la vraie nourriture, pas les rations qu’on donne sur les vaisseaux. Veux-tu de la soupe, ou quelque chose de plus substantiel ?

— Oh, n’importe quoi, pourvu que ce soit chaud et nourrissant.

Ida sembla flancher un peu, mais elle avait les joues roses et les yeux brillants.

— Si je n’ai plus à manger une nutrobarre de ma vie, je serai très contente.

Diable, on donne des nutrobarres aux Marines Impériales !

Je ne sais pas, Père, mais d’après ce qu’Ida m’a dit en venant, la situation se détériore à la Fédération ? Je te promets de t’en parler plus tard.

Margaret pilota Ida jusqu’à une chambre adjacente à la sienne, dans l’aile ouest des Appartements Alton, et la confia à Piedra, qui l’attendait et avait déjà vidé sa valise. Heureusement, Piedra savait quelques phrases de terrien, apprises de Margaret, et elle prit en main la vieille dame sans problème.

Quand elle revint au salon, Lew l’attendait, renversé dans un fauteuil, les jambes allongées vers le feu, avec une chope fumante à la main, dont s’élevait une bonne odeur de tisane. Il y en avait un pot sur une table basse, et deux autres chopes, alors elle se servit et s’assit en face de son père.

— Savais-tu qu’ils avaient supprimé les dotations à l’Université ?

— Herm m’en avais dit quelque chose. Mais c’était si peu important, comparé aux horreurs que les Expansionnistes tentent d’imposer, que je n’y avais pas prêté grande attention.

— Tu trouves sans importance qu’on veuille supprimer leur pension aux professeurs émérites ? Ou qu’ils suppriment les bourses ? dit-elle avec indignation.

— Margaret, ce sont des questions secondaires par rapport à ce qu’on nous prépare.

— Ce ne sera pas secondaire pour les intéressés !

Margaret ressentait pour l’Université une passion qu’elle ne pourrait jamais faire comprendre à son père, ni à personne qui n’y aurait pas séjourné.

— Dans ce cas, que deviendront les veuves ? Ivor et Ida ont consacré toute leur vie à leurs étudiants. Si les pensions sont supprimées, comment vivra-t-elle ? Elle est trop âgée pour recommencer à donner des leçons de piano.

— Quel âge a-t-elle ? Avec le traitement, c’est difficile à dire.

— Ivor avait quatre-vingt-quinze ans, et Ida en a deux de moins, je crois. Pourtant, elle n’a pas l’air assez âgée pour être ta grand-mère, non ?

— Absolument pas. Obligé de citer un chiffre, j’aurais dit soixante.

Il se tut, savoura sa tisane, et soupira.

— Il n’y a pas que les vieux professeurs et leurs veuves qui sont menacés, Marguerida. Ce que proposent les Expansionnistes, c’est la révision totale des bases économiques de la Fédération. Actuellement, ils ne sont pas en situation de réaliser leur rêve insensé, mais à la prochaine élection, ils pourraient avoir la majorité à la chambre basse, et alors les choses pourraient devenir très… déplaisantes.

— Mais, Père, personne de bon sens n’irait…

— Si tu dis aux gens que c’est dans leur intérêt de faire une certaine chose, ils la feront, même s’il s’agit d’un mensonge. Ajoute à cela que les Expansionnistes sont soutenus par les éléments les plus rapaces de la Fédération – ceux qui ont toujours cru que la raison d’être de toutes les planètes était de fournir tous les luxes à Terra, même si les peuples devaient en mourir de faim, et tu auras la recette du désastre. Ces hommes n’ont aucune religion, si ce n’est la cupidité, et pas plus de morale qu’un banshee. Les gens ont la mémoire courte, et ont oublié les Casseurs de Mondes. Sur Ténébreuse, nous nous en souvenons, parce qu’ils ont failli nous détruire.

— Tu regrettes d’avoir quitté le Sénat ?

— Non. Je demanderais des permis de duel tous les jours, vraisemblablement, ou je m’enivrerais jusqu’à ce que mort s’ensuive. J’ai eu le bon sens de comprendre qu’il était temps de passer le flambeau à Hermès Aldaran, qui est aussi rusé que son nom le suggère.

— J’espère que tu as raison. Il s’est passé quelque chose à l’astroport qui m’a mise mal à l’aise. Ils refusaient de me laisser entrer – j’aurais dû remettre mon uniforme, je suppose, au lieu de porter des vêtements confortables – même avec tous mes papiers en règle. Il paraît que c’est à cause d’un sabotage sur Ephèbe. Et on n’a pas voulu que mon Garde m’accompagne à l’intérieur. Parce qu’il est ténébran, sans doute. L’homme qui m’a arrêtée m’a accusée d’avoir volé mes documents. J’ai subi ce genre de traitement sur quelques planètes, de la part de fonctionnaires indigènes, mais en général, les soldats terriens ne sont pas aussi grossiers ou paranoïaques.

Lew hocha la tête.

— Je connaissais les incidents d’Ephèbe, mais je les ai appris quelques jours seulement avant ton arrivée, et ça m’est sorti de la tête.

— Qu’est-ce qui s’est passé ?

— Ce n’est pas clair, car je n’en ai reçu qu’un bref rapport de Herm. Il ne pouvait pas tout m’expliquer, et nous devions communiquer par un code de fortune, que nous avons mis au point juste avant mon départ. Il semble que les indigènes soient indignés qu’on leur impose un certain règlement – tu sais que la société Transplanetary possède presque tout Ephèbe – alors ils ont pris les choses en main et ont détruit la plus grande partie de l’astroport principal. Transplanetary demande qu’on envoie des troupes pour « rétablir l’ordre », et le Sénat traîne ses pieds collectifs.

— Je ne comprends pas. Pourquoi Herm ne pouvait-il pas tout te dire ?

Lew termina sa tisane, fit la grimace, et posa sa chope.

— S’il avait donné tous les détails à Régis ou à moi, cela aurait été considéré comme une trahison. Parce que nous sommes un Protectorat, et non un membre à part entière de la Fédération.

— Cela fait une différence ?

— Certainement. Les Expansionnistes nourrissent une suspicion profonde à l’égard des Protectorats, et ne désirent rien tant que de les forcer à devenir membres, pour mieux s’emparer de leurs ressources et les expédier sur Terra. Sais-tu qu’après les Casseurs de Mondes nous avions accepté un traité expérimental en vue de partager notre science des matrices avec la Fédération ? C’était une erreur et nous l’avons réalisé avant que les choses ne soient allées trop loin. Régis s’est livré à quelques acrobaties diplomatiques, comme moi, et nous sommes parvenus à limiter les dégâts. Je n’ai jamais été si heureux d’avoir le Don des Alton que lorsque j’ai persuadé quelques personnages clés que les prétentions de la science des matrices étaient très exagérées, et n’avaient rien de remarquable. Mais après, je me suis dégoûté, car me servir du rapport forcé, même pour une bonne cause, m’a trop rappelé les actions passées de Dyan-Gabriel Ardais.

Il baissa la tête, l’air déprimé.

— Les choses que j’ai faites pour Ténébreuse ! termina-t-il avec amertume.

— C’est à cette époque que toutes les informations sur Ténébreuse ont été supprimées ?

Lew s’anima un peu.

— Oui. Je suis parvenu à attacher un petit amendement à une loi commerciale, quelque chose d’apparemment si insignifiant que c’est passé inaperçu, et qui altérait subtilement le statut des Protectorats à l’intérieur de la Fédération. Le temps que tout le monde réalise ce qu’il signifiait, ils ne pouvaient plus rien faire, à part rapporter la loi, et il y avait des affaires plus pressantes. La Fédération commence à craquer, Marguerida. Elle est trop vaste pour être gouvernable, et ceux qui s’imaginent pouvoir la diriger se font des illusions. Ce qu’il nous faut, ce n’est pas un retour aux politiques cupides du passé, mais une forme de gouvernement totalement nouvelle, pour remplacer le gâchis que nous avons maintenant, ce ramassis de traités disparates qui ne servent plus à rien. Mais la vision manque. Les Terranans ont élargi leurs horizons sans élargir leur imagination. Je n’y peux rien. Tout ce que je peux faire, c’est empêcher si possible que Ténébreuse soit gobée par Transplanetary ou quelque autre société.

— Je me rappelle qu’Ida a eu beaucoup de mal à obtenir ses papiers pour venir ici. C’est à cause de tout ça ?

— Absolument. Les Expansionnistes veulent que les vaisseaux transportent des marchandises vers les autres mondes, et pas des personnes, et encore moins des informations. C’est ainsi qu’ils espèrent contrôler la Fédération, en limitant les échanges de connaissances. Les attaques contre l’Université ne sont qu’un premier pas. Je ne crois pas qu’ils aient un plan conscient. Après avoir été éloignés du pouvoir pendant près d’une génération, leur majorité au Sénat leur est montée à la tête, je suppose. Ce ne sont pas des penseurs, Marguerida. Ils sont ambitieux, et pas mauvais selon leurs propres critères. Et à mon avis, rien n’est plus dangereux qu’un homme de pouvoir ne réalisant pas qu’il est capable d’actes vraiment nuisibles.

Suivit un de ces silences confortables, tels que ceux d’Arilinn, quand ils étaient tous deux trop fatigués pour parler, et trop tristes pour rester seuls. Silence apaisant, où ils n’entendaient que le crépitement du feu et le vent soufflant devant la fenêtre. Margaret se dit que son père avait enfin retrouvé une sorte de sérénité, et elle s’en réjouit pour lui. Quant à la Fédération, c’était pour elle une préoccupation de plus en plus lointaine, et elle se laissa aller à penser à d’autres choses, comme Mikhail et ce rêve étrange qu’ils semblaient avoir partagé.

Ida Davidson les rejoignit alors, bien reposée et vêtue d’une étrange tenue dont Margaret n’avait jamais vu l’équivalent nulle part, et qui pourtant lui parut familière. Au bout d’un moment, elle réalisa qu’Ida était habillée ainsi dans sa vision de tout à l’heure. Elle consistait en une tunique tricotée, portée sur des pantalons volumineux, assez semblables à ceux des Séchéens, le tout complété par un manteau à rayures multicolores. Piedra avait épinglé un voile sur les cheveux clairsemés d’Ida, trop courts pour être tressés ou retenus par une barrette. L’effet d’ensemble était à la fois exotique et intéressant.

Où Ida avait-elle trouvé cet accoutrement ? Margaret avait vu Ida en toge académique dans les grandes occasions et, la plupart du temps, en corsage, jupe ou robe, tenue habituelle des femmes de la Fédération ne remplissant aucune fonction officielle. Mais là, c’était totalement différent.

— Oui, je sais, j’ai l’air bizarre. C’est ce que j’ai pensé en me regardant dans la glace, et ta femme de chambre a eu du mal à ne pas pouffer. Mais j’avais ces affaires dans une vieille malle, et je me suis dit que, puisqu’il faisait si froid sur Cottman IV, mes vieilles nippes de Doris, que je n’ai pas portées depuis au moins vingt ans, seraient parfaites. Heureusement, je n’ai pas trop grossi, alors elles me vont encore. Et j’ai toujours aimé ce manteau. Ivor disait qu’il lui rappelait le Joseph de la Bible ! Tu sais, le manteau de toutes les couleurs ? Et je suis contente de l’avoir apporté, parce que je ne veux plus voir les affaires que j’avais pendant le voyage !

— Tu es superbe, Ida. Mais demain, si le temps le permet, nous irons chez mon tailleur de la rue de l’Aiguille, et on te trouvera des vêtements indigènes. Comme ceux-là, ajouta-t-elle, montrant les siens. Nous emmènerons sans doute avec nous un petit garçon, mon jeune cousin Donal, qui a huit ou neuf ans et qui est brillant comme du vif-argent. Je lui ai promis une tunique neuve pour le Solstice d’Hiver.

Lew s’était levé à l’entrée d’Ida, et il alla regarder par la fenêtre, l’œil et les oreilles aux aguets.

— Je crois que vous devrez attendre après-demain – on dirait qu’on va avoir une tempête cette nuit, et les rues seront impraticables. Et vous devriez prendre une petite calèche, à moins que vous ne montiez à cheval, Mestra Davidson.

— Il faut m’appeler Ida, Sénateur. Mestra Davidson sonne vieux, et je n’ai pas envie de me sentir vieille en ce moment.

— Alors, il faut m’appeler Lew.

— Ah, voilà à manger, dit Margaret. J’ai commandé de la soupe aux lentilles, du pain, du miel, du vin chaud aux épices et aussi de la tisane. J’espère que ça te plaira !

— La soupe aux lentilles, ce sera parfait !

La servante posa le plateau sur une petite table ronde et se mit à dresser le couvert. Quelques minutes plus tard, ils étaient installés tous les trois devant leur repas. Ida mit Margaret au courant des derniers scandales de l’Université, et Margaret demanda des nouvelles de ses anciens amis. Lew écoutait, sans ennui apparent, cette conversation sur des gens totalement étrangers. Margaret savait qu’il étudiait Ida, et pensa que la vieille dame lui plaisait.

Cela lui sembla bon d’avoir Ida près d’elle, et étrange en même temps. Elle semblait à Margaret venir d’un autre monde, pas celui de l’Université, mais pas Ténébreuse non plus. Le repas terminé, Ida annonça qu’elle ferait bien la sieste, et Margaret se sentit à la fois soulagée et coupable. Elle suivit du regard la petite silhouette vêtue de couleurs éclatantes qui sortait du salon, puis elle regarda son père.

— Je sais, Marguerida. Il est quelquefois pénible d’avoir des invités, même quand on les aime. Mais je suis content d’avoir fait sa connaissance, et je crois que son séjour ici lui plaira.

— Je l’espère. En tout cas, elle a des dons linguistiques supérieurs à ceux d’Ivor, et elle ne tardera pas à bien s’exprimer en casta. Quand nous allions sur une nouvelle planète, Ivor se taisait pendant des jours comme un débile, et puis brusquement, un beau matin, il se mettait à jacasser comme une pie. Mais dans l’intervalle, je devais tout lui traduire, et c’était épuisant.

— Tu l’aimais beaucoup, n’est-ce pas ? dit Lew, avec une nuance chagrine et envieuse à la fois.

— Oui, je l’aimais. Et il me manque tous les jours de ma vie.

La matrice fantôme
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